Dre Flordeliz (Gigi) Osler

Pouvez-vous nous parler de vos etudes et de votre carrière professionnelle? Pourquoi avez vous choisi la médecine et votre spécialité? 

Je pense que, comme la plupart des gens qui choisissent la médecine, il y a un désir altruiste d’aider et de servir les autres. C’est ce qui m’a poussé à prendre davantage de cours en sciences durant mon secondaire puis à appliquer dans un programme de pré-médecine afin d’éventuellement entrer en médecine.

Est-ce que le fait d’être une femme a influencé votre carrière en médecine ?

En rétrospective, quand je repense au nombre de femmes dans ma promotion, nous n’atteignions pas la moitié. Pourtant, en tant que femme, je ne m’étais jamais sentie comme une minorité. Par contre, lorsque j’ai travaillé en chirurgie générale puis en ORL, j’ai remarqué que le nombre de femmes avec moi avait diminué davantage. Les études médicales et la résidence sont des moments difficiles peu importe le genre d’une personne.

Une autre femme interviewée pour le projet a fait remarquer qu’elle trouvait cela plus difficile d’être une personne de couleur que d’être une femme dans le domaine médical. Qu’en pensez-vous? 

C’est une problématique réelle, surtout dans les dernières années. Socio-culturellement à travers le Canada, il y a une augmentation du racisme et de la discrimination. Cela continue à être un enjeu préoccupant pour n’importe quelle personne de couleur. Géopolitiquement, on voit une augmentation du nationalisme et du populisme ultra-conservateur d’extrême droite. Avec ce phénomène vient souvent une aliénation de « ceux qui me ressemblent » vs « ceux qui ne me ressemblent pas » : mais en fait, à bien y penser, qui est réellement comme moi ou pas?

En tant que Canadiens, Je crois que nous promouvons et valorisons la diversité, que l’on soit d’ici ou d’ailleurs. Particulièrement en médecine, je crois qu’il est important d’entretenir cette diversité dans le corps professionnel et de favoriser la prise de conscience des enjeux qui y sont liés. Nous devons continuer de nous soutenir mutuellement. Tout le monde a le droit de se sentir inclus et en sécurité. Les patientes et les patients que nous traitons sont loin d’être un seul groupe homogène et sont souvent un exemple de diversité comme nous ne l’avons jamais vu avant. Nous devons promouvoir la tolérance et l’inclusion afin de leur offrir les meilleurs soins.

Avez-vous remarqué un changement de mentalité concernant la place des femmes en chirurgie depuis le début de votre résidence?

Au cours des années, surtout lorsque je pense à mes années de résidente en chirurgie, je constate un changement de culture positif. Maintenant, être une femme en chirurgie est bien plus normalisé qu’il y a quelques décennies. Lorsque j’étais résidente, avec peu de modèles en chirurgie, on se faisait remarquer parce qu’on était des femmes. Ma co-résidente avait l’habitude de me dire que je devais  « travailler deux fois plus fort pour la moitié de la reconnaissance », mais cela ne m’a jamais dérangé parce que j’adorais mon domaine et j’adorais la salle d’opération, j’adorais être chirurgienne et j’adorais tout le dur labeur. À Winnipeg, il y avait quelques femmes ORL et je crois qu’elles ont frayées un chemin pour qu’il y ait plus de femmes dans la spécialité. Depuis, j’ai pu être témoin de programmes en chirurgie qui atteignaient la parité, notamment en ORL. Maintenant plus que jamais, il y a de plus en de femmes qui entrent dans des programmes en chirurgie et cela représente un important changement positif dans la culture médicale qui devient plus diverse et inclusive.

Comment avez-vous trouvé un équilibre entre votre vie personnelle et votre vie professionnelle? Pensez-vous que les femmes ont toujours le plus gros des tâches domestiques?

Quelques études démontrent qu’à travers le monde, les femmes font 2.5 fois plus de temps impayé en tâches domestiques et en veillant aux besoins des enfants que l’homme. On aurait tendance à penser que ce serait différent en médecine, mais les statistiques sont les mêmes. Et ce n’est pas seulement s’occuper de l’enfant parce que lorsqu’il s’agit de s’occuper d’un proche : que ce soit les parents, la belle-famille, la fratrie, ce sont souvent les femmes qui endossent cette responsabilité.

Alors, nous devrions demander comment rendre la médecine plus inclusive pour tout le monde et pas seulement les femmes. Lorsqu’il s’agit de congé maternel ou paternel, je crois que nous nous améliorons, mais nous pourrions en faire plus en parler de congé familial afin que les médecins puissent aussi prendre du temps pour d’autres raisons familiales.

Pour l’instant, n’importe quel type de congé impose souvent des problèmes de personnel soignant. C’est une problématique systémique qui nécessite qu’on s’y penche et surtout, que nous commencions à sérieusement avoir cette conversation.

Après vous être fait suggéré de devenir la prochaine présidente de l’Association médicale canadienne (AMC), votre première réaction fut « Moi? Pourquoi moi? Qui voterait pour moi? » Pourquoi?

La présidence de l’AMC suit une rotation entre les provinces et les territoires. En 2016, c’était le tour au Manitoba d’élire une personne pour la présidence. J’ai toujours été membre de l’AMC, mais me présenter pour cette position n’a jamais été quelque chose qui a effleuré mon esprit. Je travaillais sur certains comités concernant la santé des médecins, j’avais une pratique occupée et j’avais un rôle au sein de mon département d’ORL; mais je n’avais jamais pensé me lancer dans les politiques médicales. Ma réaction était en partie due à un syndrome de l’imposteur et en partie due à ne pas savoir que n’importe quel membre de l’AMC pouvait se présenter pour la présidence. Je pensais qu’il fallait avoir déjà assumé des fonctions de présidence ou de direction dans l’autre associations avant de postuler, ce qui n’était pas le cas pour moi.

J’en ai parlé avec la personne qui m’a proposé de me présenter et avec quelques collègues en qui j’ai confiance qui m’ont dit : « Je pense que tu serais excellente parce que tu crois en ça et en ça, et que tu es passionnée par ça et par ci, et tu représentes cela et ceci. » Entendre ces paroles m’a aidé à surmonter mon syndrome de l’imposteur. J’ai compris que j’avais plusieurs accomplissements et que les gens voteraient pour moi pour les causes que je défendais. Cette nuit, je n’arrivais pas à dormir. Je n’arrêtais pas de penser à ça. L’idée de me présenter me terrifiait, le processus électoral me terrifiait et devoir endosser cette haute position de leadership me terrifiait. Pourtant, à la fin de la nuit, je me suis dit que j’avais cette occasion d’avoir une plateforme afin de plaider pour un changement positif et d’être une modèle ; et cela me rendait beaucoup plus excitée et passionnée qu’apeurée. À la fin de la matinée, l’excitation a pris le dessus, et au lieu de me dire « pourquoi moi? », je me suis dit «pourquoi pas moi?».

Quels enjeux avez-vous décidé d’endosser durant votre présidence? Pourquoi avec choisi la santé des médecins et leur bien-être?

J’ai commencé ce rôle en voulant être une agente de changement positif et je savais que la santé des médecins et leur bien-être était une problématique. C’était un sujet dont nous parlions au niveau local et provincial, mais qui commençait à peine à apparaître au niveau national. Je savais que si j’étais élue, la santé et le bien-être des médecins serait un enjeu que je pourrai défendre. Si les médecins ne sont pas en santé, ce sont les patients qui souffrent aussi d’une qualité des soins amoindrie. À l’AMC, nous avons des statistiques du notre étude nationale sur la santé des médecins en 2017 qui démontre que les femmes, résidentes et en début de carrière, sont à un risque plus élevée d’épuisement professionnel. Pour moi, cela veut dire que nous avons besoin de cette discussion plus que jamais afin de rendre la culture médicale et nos environnements de formations plus positifs et qui offrent davantage de support.

En tant que femme, quels étaient les défis que vous avez dû franchir durant votre mandat en tant que présidente?

L’AMC m’a toujours beaucoup énormément supporté et je suis fière de pouvoir dire que la présidence de l’AMC sera à nouveau entre les mains d’une femme, Dre Ann Collins. La présidence est un rôle demandant qui amène son lot de défis, surtout en termes de conciliation travail-famille. À nouveau, il s’agit de savoir balancer son travail. Je crois qu’il est extrêmement important de continuer à avoir cette conversation avec nous nos collègues afin d’améliorer leur vie personnelle et professionnelle.

Être la première femme de couleur à la tête de l’AMC, c’est significatif, surtout lorsqu’on prend en considération l’ampleur de l’organisation. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est une question vraiment intéressante, parce qu’honnêtement, ce n’était pas quelque chose que je considérais comme nouveau ou unique ou important à propos de moi. Par contre, lorsque je suis devenu présidente, autant les femmes que les hommes, mais surtout les jeunes femmes de couleur, venaient me voir pour me dire qu’elles et ils n’avaient jamais vu une personne leur ressemblant être dans une telle position de leadership. Ma présidence avait un impact pour ces personnes-là. Être dans ce rôle m’a démontré l’importance de la représentation et je dis souvent que l’on ne peut pas être ce que l’on ne voit pas.

Être dans ce rôle m’a appris que nous avons des biais inconscients. Malgré la diversité au sein de nos étudiantes et étudiants, résidentes et résidentes, et médecins : je suis une exception, étant seulement la 8ème femme, première femme chirurgienne et première femme de couleur de l’AMC.

Aviez-vous des modèles au cours de votre cheminement en médecine? Y avait-il des femmes de couleurs dans votre domaine auxquelles vous pouviez vous identifier?

De prime abord, lorsque j’ai décidé d’aller en médecine, mon modèle c’était mon père qui était aussi médecin. Alors que j’ai progressé en médecine, la plupart de mes modèles sont devenus des femmes chirurgiennes parce qu’elles me montraient qu’en tant qu’ORL, je pouvais avoir une carrière fructueuse, être professeure et avoir une famille. Quand j’ai commencé ma pratique comme ORL, mes modèles étaient toutes ces femmes chirurgiennes qui ont frayé le chemin pour moi.

Que diriez-vous aux femmes en médecine afin de les encourager à prendre leur place et à s’impliquer durant leur carrière? 

Je crois que c’est une décision difficile et plus tôt cette décision arrive, plus difficile elle est. Souvent, les étudiantes vont choisir une résidence au moment où elles n’auront pas eu d’exposition à toutes les spécialités possibles. Mon conseil serait de trouver quelque chose que vous aimez faire. Par exemple, si vous adorez la chirurgie, et qu’être dans une salle d’opération et qu’être chirurgienne vous plait : alors faites-le. Ce serait honteux que quelqu’un soit conseillé d’éviter une certaine spécialité à cause de leur genre.

La médecine c’est difficile. C’est beaucoup de dur labeur avec beaucoup de pressions externes qui peuvent épuiser celles et ceux qui la pratiquent. Si vous êtes dans une carrière que vous n’aimez pas, ces pressions externes seront présentes et vont amplifier votre ressentiment. Vous vous sentirez épuisées. Quand vous vous sentez épuisées, c’est plus qu’important de chercher en vous et trouver la joie derrière votre vocation et la raison pour laquelle vous la pratiquez.